samedi 24 janvier 2015

Critique de la pièce "L'Elixir d'Amour"

Genre: la tectonique des sentiments (note: **/****)

Adam et Louise se sont aimés cinq ans, jusqu'à ce qu'elle le quitte, lasse de ses infidélités au point de mettre un océan entre elle et lui. Il lui écrit, propose de rester amis. Elle refuse mais se laisse néanmoins attirer dans cette relation épistolaire qui semble l'agacer au début avant de se prendre au jeu.

J'y suis allée pour elle. J'ai toujours eu une certaine admiration pour Pietragalla, peut-être parce que nous avons des origines communes (la Corse), parce qu'elle fut une danseuse étoile magnifique que je suis allée admirer maintes fois, parce qu'elle a cette personnalité singulière, ce physique statuesque féminin/masculin où un corps de sylphide le dispute à un visage taillé à la serpe sous une chevelure de jais, cette voix grave.

Au début on la sent crispée. Son ton est juste mais elle dit son texte trop vite, sans y mettre l'émotion qu'elle devrait. Je me suis dit aïe... D'autant qu'à ma grande surprise, côté jardin, Eric-Emmanuel Schmitt acteur est très bien. Heureusement, le metteur en scène, Steve Suissa a eu la bonne idée de ponctuer la pièce d'extraits de l'opéra "Tristan et Iseult" de Wagner. Sur l'un des premiers morceaux, Pietragalla danse. Avec le haut du corps uniquement, mais elle incarne la musique et ce retour aux sources de sa passion lui permet de se détendre. A partir de ce moment, elle est très bien.

Qu'est-ce que l'amour ? Pourquoi aime-t-on ? Peut-on décider d'aimer ou de ne plus aimer ? Existe-t-il, comme dans Tristan et Iseult, un filtre d'amour ?  "Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour" disait le poète Pierre Reverdy et les hommes et les femmes ont, selon Eric-Emmanuel Schmitt, des façons bien différentes de prouver leur amour. Déjà dans "La nuit de Valognes", il se penchait sur le sujet en faisant le procès de Don Juan. Un Don Juan à qui la naïve Angélique disait "Vous, vous ne m'aimez pas et vous ne pouvez vous forcer à m'aimer. Eh bien moi, c'est pareil : je vous aime et ne peux me forcer à vous désaimer". Ici, Louise sait qu'elle ne peut désaimer Adam, alors elle va s'éloigner pour lui manquer, pour mieux le manipuler, de loin.

Le texte est poétique, servi par une mise en scène simple mais qui réussit à faire surgir l'émotion, une émotion renforcée par une musique très finement utilisée.

Eric-Emmanuel Schmitt est bizarrement l'auteur dont j'ai vu le plus de pièces au théâtre, parfois avec beaucoup de plaisir (La nuit de Valognes, Variations énigmatiques, Ma vie avec Mozart, Le visiteur), parfois moins (La tectonique des sentiments). Cet Elixir d'amour, fait partie de la première catégorie. Une très jolie surprise.


Auteur : Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène : Steve Suissa
Avec Marie-Claude Pietragalla et Eric-Emmanuel Schmitt
Théâtre Rive Gauche - 6 rue de la Gaieté - Paris 14e
(jusqu'au 15 mars 2015)

samedi 17 janvier 2015

Dans la famille Lévy, je choisis la fille

En 2004, Justine Lévy publie son deuxième roman "Rien de Grave". A l'époque j'en avais fait la critique ci-dessous.

[Justine L., fille de, presque 30 ans, mariée, médicamentée, avortée, déboussolée, plaquée, divorcée. Vivante, quoi. Justine Lévy raconte l'histoire de Louise, une jeune femme que son mari a quittée pour aller vivre et faire un enfant avec la petite amie de son père (à lui). C'est l'histoire d'un amour. Perdu.

On entre dans ce bouquin un peu par curiosité (comment elle écrit, la fille de BHL ?), un peu par hasard aussi (il a une fille, BHL ?), beaucoup parce qu'on a lu quelque part que ça parle d'une convalescence post-rupture et qu'un jour ça nous a forcément interpelés quelque part. Donc on y entre et une fois dedans, on s'en réveille la nuit pour le terminer. C'est ce genre de bouquin, le livre de Justine Lévy : du genre qui fait du bien là où ça fait mal. Elle a une écriture fluide et précise. Elle n'emploie pas un mot à la place d'un autre et le dit comme c'est. Ses phrases sont longues, avec beaucoup de virgules et même les dialogues sont perdus au milieu de paragraphes entiers. Mais ça se lit vite, parce que Justine Lévy nous happe dans son cauchemar, dans son bonheur, dans sa famille, dans sa vie. Elle décrit tellement bien cet espèce de flottement dans lequel on est après un gros chagrin d'amour. Cet espèce d'insensibilité à toutes les émotions, grandes ou petites, cette minimisation des drames postérieurs, ce blindage du coeur, cet instinct de survie qui fait qu'on reste insensible aux douleurs des autres, même les plus proches, même les plus grandes. Louise est le nez sur son nombril et tout le reste lui est parfaitement égal, comme si une chape de plomb lui était tombée sur le coeur. Le cancer de sa mère ? Bof. Le décès de sa grand-mère ? Pas une larme, la source est tarie. Oui, elle l'aimait mais aimer ne veut rien dire. Pleurer non plus. Vivre ? Elle ne sait pas encore.

Pourtant, ce livre ne tire pas les larmes. On le finit à toute allure, en apnée, parce que Louise nous emmène avec elle là où l'air est devenu irrespirable. Et puis, page après page, on refait surface avec elle. On a appris avec elle que la vie c'est aussi les chagrins, c'est aussi d'avoir mal et que ça ne vaut pas moins la peine d'être vécu que le reste. La vie c'est avoir aimé et avoir perdu, c'est être paumé, faible et fragile, désespéré. La vie c'est aussi tout ça. Et Justine Lévy le dit bien, avec élégance et cruauté.]

Cinq ans plus tard, Justine Lévy récidive dans le roman autobiographique avec "Mauvaise fille". Un livre dans lequel elle raconte à quel point sa mère fut une mauvaise mère... mais ça s'appelle "Mauvaise fille". Encore une fois, elle m'interpelle Justine L. Je me reconnais dans sa Louise. Je me reconnais dans les interviews qu'elle donne pour la promo. Elle dit sa culpabilité de penser ce qu'elle pensait de sa mère, d'être enceinte alors que sa mère était mourante. La vie qui continue en elle alors que sa mère, cette beauté vampirisante, est dévorée de l'intérier par le crabe. J'aime son style, toujours le même, toujours une longue litanie avec peu de dialogues, à même le texte sans tabulation, sans guillemets, sans rien. Des états d'âme. Se construire avec cette mère-là, contre elle ou en dépit d'elle, l'aimer malgré tout alors qu'elle n'est objectivement pas très aimable. On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille. Dans une interview de promo, une journaliste demande à Justine Lévy "si vous pouviez prendre l'enfant que vous étiez dans vos bras, quelle est la première chose que vous lui diriez ? " Réponse "Je lui dirais tu es belle, parce que quand j'étais enfant  personne ne m'a jamais dit que j'étais belle". Ouch...  Moi, si je pouvais prendre la petite fille que j'étais dans mes bras, la première chose que je lui dirais c'est "Je suis là".

Les livres de Justine Lévy sont ma thérapie littéraire. Je chemine avec elle, sa plume me montre la lumière au bout de mon tunnel. A chaque fois, je grandis un peu grâce à elle. Ce n'est pas une écrivaine exceptionnelle, mais elle me touche parce qu'elle parle de sujets qui me touchent, qui me parlent parfois de moi, de ma vie, de mon passé.

Elle vient de sortir un nouveau roman, Justine Lévy. Ça s'appelle "La gaieté" et l'homme de ma vie depuis 15 ans me l'a offert. Peut-être un signe que la boucle est bouclée, que j'arrive au bout de ma quête de mon Moi vrai, que je suis là où je dois être et que tout est bien. Oui. Tout est bien, Tintin...
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vendredi 16 janvier 2015

Revenge, ton univers impitoya-a-ble

In-croy-able. Incroyable est bien l'adjectif qui sied le mieux à cette série, dans tous les sens du terme.

Incroyable comme tout ce qui s'y passe, invraisemblable, voire parfois même ridicule et risible.
Incroyable que cette série soit pourtant dans sa 4e (!) saison.
Incroyable qu'une actrice comme Madeleine Stowe (qui avait quand même joué au cinéma avec Daniel Day-Lewis, pas vraiment un acteur de série B) soit venue se fourvoyer dans un truc pareil, pour y jouer comme un pied en plus, comme tous les autres d'ailleurs ou presque (voir plus bas).
Incroyable enfin et surtout que, malgré tout ça, je sois accro. Oui, accro !

J'ai moi-même du mal à me l'expliquer. Moi qui d'habitude aime les séries bien écrites, fines, pleines d'humour, décalées parfois mais subtiles toujours, je ne m'explique toujours pas comment j'arrive à suivre depuis quatre saisons une fiction qui n'est rien de tout cela. Un mystère.

Seuls quelques acteurs sortent du lot : Gabriel Mann qui réussit à insuffler à son personnage un brin de folie et d'originalité ; Karine Vanasse en rédactrice en chef du Closer local ne s'en tire pas trop mal ; ou encore Henry Czerny, parti au bout de trois saisons, qui lui aussi parvient à donner un peu de relief à ses dialogues. Quant à l'actrice principale, Emily Van Camp, vue précédemment dans "Brothers & Sisters", elle a deux expressions faciales : "j'vais tout péter" ou "c'est vraiment trop dur c'qui m'arrive", qu'elle tient quand même depuis quatre ans. Une performance en soi. A sa décharge, il est vrai que ni elle, ni les autres ne sont aidés par les scénaristes, probablement recyclés de Dallas / Dynastie version 80s (avec whisky, enfant caché et problèmes de riches), en moins crédibles, c'est dire !

Clairement tournée à Los Angeles alors qu'elle est censée se dérouler à New York et Montauk, Revenge est une série oubliable qui sera rapidement oubliée. D'invraisemblances en invraisemblances, je veux voir où tout ça va les mener. Quelques dialogues par-ci par-là sont parfois relativement bien écrits mais l'histoire tarabiscotée au possible est en roues libres, comme si les scénaristes étaient remplacés chaque semaine. Il n'y a rien à sauver, à part quelques jolies robes.


Revenge (2011) - Série US (note: 0/****)
Créée par Mike Kelley
Avec Emily Van Camp, Madeleine Stowe, Gabriel Mann, Joshua Bowmann, Nick Wechsler, James Tupper, Karine Vanasse, Christa B. Allen, Olivier Martinez, Amber Valetta, etc.
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lundi 5 janvier 2015

Les bonnes manières existent encore...

Deux semaines avant Noël, mon conjoint a trouvé dans la rue un iPhone version récente, là au milieu du trottoir dans son joli étui rose fuschia. Il l'a rapporté à la maison et m'a demandé ce qu'on pouvait faire. Le téléphone, dont la page d'accueil affichait la photo de deux jolies petites filles au sourire édenté, étant bloqué par un code, il n'y avait pas grand chose à faire sauf attendre. Attendre que quelqu'un appelle. En espérant que la batterie, déjà assez basse, ne soit pas morte avant.

Au bout d'une heure ou deux, le téléphone se met à sonner. Je décroche et en réponse à mon "Allô ?" un silence surpris. Normal. Je dis immédiatement "Je ne suis pas la propriétaire de ce téléphone". Une voix féminine de l'autre côté de la ligne me répond "En effet, puisque c'est moi. Vous êtes qui ?" Je lui explique comment je suis entrée en possession de son téléphone. Elle est très étonnée car elle pensait l'avoir oublié chez elle et appelait son mari pour s'en assurer. Eh non, il est chez moi.

Je lui dis que je le tiens à sa disposition et qu'elle peut venir le chercher à sa convenance, que j'imagine qu'elle ne doit pas habiter trop loin de chez moi. Son étonnement devient rapidement soulagement. Je lui donne mon adresse et lui dis de rappeler son propre numéro lorsqu'elle est en bas de mon immeuble et que je descendrai avec son téléphone.

Elle est arrivée à 16 heures. Une jeune femme de 30-35 ans, vêtue d'un manteau et d'un bonnet en laine. Cette femme ça aurait pu être moi en plus jeune. Elle tenait à la main un sac du pâtissier Gérard Mulot, de la même couleur que l'étui de son iPhone qui était dans la mienne. Je me suis dit qu'elle devait sûrement être attendue pour un goûter et qu'elle y apportait des macarons. Je lui ai donné l'iPhone. A ma grande surprise, je dois l'avouer, elle m'a tendu le sac Gérard Mulot en disant "merci beaucoup, vraiment, c'est très gentil de votre part". J'ai fait un geste de la main "non, non, ce n'est pas nécessaire, j'ai uniquement fait ce que j'aurais voulu qu'on fasse pour moi si j'avais été dans votre situation". Elle m'a dit "vous savez c'est un iPhone", j'ai dit "oui, j'ai vu".

On s'est dit au revoir et joyeuses fêtes. Qu'y avait-il d'autre à dire ? On ne se connaissait pas. Elle est sortie de mon immeuble, je suis entrée dans mon ascenseur, le sac contenant la boîte de macarons à la main. Et pendant tout le temps où je suis remontée jusque chez moi dans cet ascenseur je me suis dit : les bonnes manières ne sont pas mortes, il y a encore dans cette ville, dans ce pays, sur cette terre, des gens reconnaissants, "bien élevés" comme on disait dans le temps. Des gens bien.

Et ce jour-là, à l'approche des fêtes, au crépuscule de cette année 2014 percluse de petites contrariétés, sans gravité mais sans répit, j'en ai eu les larmes aux yeux.
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