mardi 14 avril 2015

A la recherche d'un temps perdu

Mon grand-père paternel, corse, avait deux soeurs : Madeleine et Marie-Thérèse, que tout le monde appelait Dédé parce qu'elle avait eu l'infortune de naître après un frère qui n'avait pas survécu et qui s'appelait André.

Madeleine et Dédé furent très présentes durant toute mon enfance.

La deuxième m'avait gardée quand j'étais toute petite. La première habitait avec sa mère, mon arrière-grand-mère corse, une corse vraie de vraie, toute de noir vêtue, maigre et tordue comme un pied de vigne, de longs cheveux blancs toujours remontés en chignon, morte quelques jours seulement avant son centième anniversaire. Quand j'habitais encore dans mon sud natal, j'allais les voir régulièrement, même jeune adulte. Cela me faisait plaisir, cela leur faisait plaisir.

Chez elles, enfant je lisais la BD "Arthur & Zoé" dans Mode de Paris, je grignotais des graines de pollen de fleurs. Adolescente, je passais des après-midis à jouer au rami. Plus tard, Madeleine m'a donné le goût de mon futur métier. Une fois installée à Paris, je continuais d'aller lui rendre visite de temps en temps. Je lui parlais de ma vie à Paris, de théâtre, de voyages, de littérature. C'est elle qui m'avait fait connaître ce beau livre d'Amin Maalouf qui trône toujours dans ma bibliothèque "Le premier siècle après Béatrice". Elle avait un caractère bien trempé, un regard pétillant, un rire énergique. Elle était cultivée, intelligente, intéressante, intéressée.

Elle avait su pardonner mes bêtises d'enfant.

De la fratrie, seule Madeleine était encore de ce monde à la naissance de mon fils. Elle seule a pu faire sa connaissance. Il avait deux mois et elle était aux anges.

Il y avait toujours une odeur particulière chez elle. L'odeur du "vieux" peut-être. Sans doute. Une odeur reconnaissable. En vieillissant, Madeleine ressemblait à sa mère, c'était frappant : la même peau transparente, fine comme de la dentelle, les mêmes mi-bas tombés sur les chevilles ou remontés jusqu'aux genoux et dont on voyait le haut quand elle s'asseyait.

Madeleine s'en est allée dimanche au bel âge de 88 ans. Elle a rejoint Jeanne, sa mère, Jean, son frère, sa soeur Dédé, Henri et tous les autres. Elle a rejoint les rivages éternellement ensoleillés de son île de beauté.

Ma madeleine de Proust c'était elle, et ma tristesse est infinie.
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