De nos jours, j'ai l'impression qu'une vaste majorité de la race humaine a éradiqué deux mots de son vocabulaire : bienveillance et excellence.
La bienveillance... Qui en fait encore preuve ces temps-ci sans prendre le risque de passer pour un ringard (au mieux), un faible (au pire). Pourtant c'est quoi la bienveillance ? Garder l'esprit ouvert et ne pas être empli de préjugés négatifs et d'a priori vindicatifs, ne pas prêter des intentions malhonnêtes ou intéressées ou mauvaises à d'autres sous prétexte que leurs actions ne vont pas dans notre sens. Toujours laisser le bénéfice du doute. Se lever dans le bus pour une femme enceinte ou une personne âgée. Dire bonjour, s'il vous plaît, merci et au revoir. Dire bonjour même à ceux qui dorment dans un carton ou font la manche aux portes de nos supermarchés, même si on n'a pas de monnaie à leur donner, même si on est gênés, agacés parfois, de les voir. Etre bienveillant c'est faire cas des autres, ceux que l'on ne connaît pas (un peu) mais aussi et surtout ceux que l'on connaît (beaucoup). C'est ne pas blesser volontairement ou par omission, ou parce qu'on n'a pas réfléchi. C'est se mettre à la place de l'autre et se demander : qu'est-ce que j'aurais fait moi ? Comment j'aurais voulu être traité moi ? Est-ce que ça me ferait de la peine à moi ?
Se comporter avec bienveillance c'est l'inverse de ce qu'a fait cette femme hier, au parc Montsouris, quand je lui ai demandé si la chaise où elle avait soigneusement posé son sac et son manteau était libre (elle l'était clairement) et qu'elle m'a répondu : non. Nous étions quatre adultes et trois enfants de moins de 3 ans avec seulement deux chaises de libres. Et ça la faisait chier (non, je n'utiliserai pas d'autre mot) de nous céder sa chaise inoccupée autre que par ses petites affaires personnelles. Et elle ne s'est pas contentée de me dire non, elle a bien regardé notre petit groupe, bien vu les enfants, m'a bien regardée et avec la bouche de travers et l'oeil noir m'a dit "on attend quelqu'un". Car elle n'était pas seule, ils étaient trois et aucun des deux autres ne l'a contredite. Inutile de dire que la personne soi-disant attendue n'est jamais venue et que le sac et le manteau ont bien profité du soleil gentiment installés sur une chaise...
L'excellence... Ah, parlons-en ! Surtout ne pas prononcer ce mot comme un encouragement (e.g. "il faut tendre vers l'excellence") car on pourrait nous reprocher une forme de discrimination négative, de volonté de rabaisser l'autre, voire même de harcèlement. L'excellence est quasiment une grossièreté de nos jours. Plus personne n'ose conseiller l'excellence. Les enfants sont de plus en plus souvent en échec scolaire ? On parle de supprimer les notes (pratique pour juger du niveau), de bannir le redoublement, de baisser le niveau des cours. On croit rêver ! On encourage la médiocrité à grands coups de "Allô ?! Non mais allô quoi !!". Aujourd'hui travailler dur pour y arriver, viser l'excellence, du vocabulaire par exemple, est obsolète, voire tabou. Pourtant tendre vers l'excellence est une des clés du succès. Pas du succès en espèces sonnantes et trébuchantes, non, de la réussite dans le sens premier du terme : réussir sa vie, réussir à être soi-même, réussir à changer les choses.
Le manque d'excellence du langage par exemple est sans doute le plus symptomatique. Combien de jeunes savent encore parler, ou mieux : écrire, un français correct ? MDR! C koi ce kiff ?? Les Molière, Pagnol, Guitry et consors doivent s'en retourner dans leur tombe. Certes le français est une langue vivante (et donc qui évolue avec son temps) et on peut très bien incorporer ce nouveau vocabulaire sans faire de grumeau dans la pâte mais avant celui-là ne faut-il pas maîtriser la base ? Je suis entourée de jeunes gens qui ont tous bac+5 et plus et qui ne savent pas écrire trois lignes sans une faute d'orthographe, d'accord ou de temps tous les deux mots et qui n'ont pas plus de 50 mots de vocabulaire. Pathétique. D'autant plus pathétique que je suis persuadée, et je l'ai toujours été, que la maîtrise du langage, le style, le vocabulaire fait toute la différence et peut changer le monde. On peut faire changer quelqu'un d'avis avec des mots, on peut faire rire, pleurer, aimer, déclencher des haines et des guerres, apaiser des conflits, se réconcilier, on peut s'excuser, pardonner, consoler, complimenter, donner confiance ou blesser. Les mêmes mots, dans un ordre différent, changent tout. L'excellence du langage est fondamentale : ne pas employer un mot à la place d'un autre, être précis dans ce que l'on dit pour être le plus fidèle possible à sa pensée, être érudit. Pour moi la journaliste Natacha Polony maîtrise la langue française d'une façon remarquable et dans le PAF ou la PEF (presse écrite française), c'est rafraîchissant, c'est délectable, c'est rare et c'est dommage.
Bienveillance et Excellence sont clairement, hélas, au plus bas dans les sondages ces temps-ci. It's our loss, comme on dit en anglais. Je serais tentée de rajouter and our demise. En français, quelle aubaine, on n'a qu'une seule expression pour dire les deux : c'est notre perte.
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lundi 22 avril 2013
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