samedi 17 janvier 2015

Dans la famille Lévy, je choisis la fille

En 2004, Justine Lévy publie son deuxième roman "Rien de Grave". A l'époque j'en avais fait la critique ci-dessous.

[Justine L., fille de, presque 30 ans, mariée, médicamentée, avortée, déboussolée, plaquée, divorcée. Vivante, quoi. Justine Lévy raconte l'histoire de Louise, une jeune femme que son mari a quittée pour aller vivre et faire un enfant avec la petite amie de son père (à lui). C'est l'histoire d'un amour. Perdu.

On entre dans ce bouquin un peu par curiosité (comment elle écrit, la fille de BHL ?), un peu par hasard aussi (il a une fille, BHL ?), beaucoup parce qu'on a lu quelque part que ça parle d'une convalescence post-rupture et qu'un jour ça nous a forcément interpelés quelque part. Donc on y entre et une fois dedans, on s'en réveille la nuit pour le terminer. C'est ce genre de bouquin, le livre de Justine Lévy : du genre qui fait du bien là où ça fait mal. Elle a une écriture fluide et précise. Elle n'emploie pas un mot à la place d'un autre et le dit comme c'est. Ses phrases sont longues, avec beaucoup de virgules et même les dialogues sont perdus au milieu de paragraphes entiers. Mais ça se lit vite, parce que Justine Lévy nous happe dans son cauchemar, dans son bonheur, dans sa famille, dans sa vie. Elle décrit tellement bien cet espèce de flottement dans lequel on est après un gros chagrin d'amour. Cet espèce d'insensibilité à toutes les émotions, grandes ou petites, cette minimisation des drames postérieurs, ce blindage du coeur, cet instinct de survie qui fait qu'on reste insensible aux douleurs des autres, même les plus proches, même les plus grandes. Louise est le nez sur son nombril et tout le reste lui est parfaitement égal, comme si une chape de plomb lui était tombée sur le coeur. Le cancer de sa mère ? Bof. Le décès de sa grand-mère ? Pas une larme, la source est tarie. Oui, elle l'aimait mais aimer ne veut rien dire. Pleurer non plus. Vivre ? Elle ne sait pas encore.

Pourtant, ce livre ne tire pas les larmes. On le finit à toute allure, en apnée, parce que Louise nous emmène avec elle là où l'air est devenu irrespirable. Et puis, page après page, on refait surface avec elle. On a appris avec elle que la vie c'est aussi les chagrins, c'est aussi d'avoir mal et que ça ne vaut pas moins la peine d'être vécu que le reste. La vie c'est avoir aimé et avoir perdu, c'est être paumé, faible et fragile, désespéré. La vie c'est aussi tout ça. Et Justine Lévy le dit bien, avec élégance et cruauté.]

Cinq ans plus tard, Justine Lévy récidive dans le roman autobiographique avec "Mauvaise fille". Un livre dans lequel elle raconte à quel point sa mère fut une mauvaise mère... mais ça s'appelle "Mauvaise fille". Encore une fois, elle m'interpelle Justine L. Je me reconnais dans sa Louise. Je me reconnais dans les interviews qu'elle donne pour la promo. Elle dit sa culpabilité de penser ce qu'elle pensait de sa mère, d'être enceinte alors que sa mère était mourante. La vie qui continue en elle alors que sa mère, cette beauté vampirisante, est dévorée de l'intérier par le crabe. J'aime son style, toujours le même, toujours une longue litanie avec peu de dialogues, à même le texte sans tabulation, sans guillemets, sans rien. Des états d'âme. Se construire avec cette mère-là, contre elle ou en dépit d'elle, l'aimer malgré tout alors qu'elle n'est objectivement pas très aimable. On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille. Dans une interview de promo, une journaliste demande à Justine Lévy "si vous pouviez prendre l'enfant que vous étiez dans vos bras, quelle est la première chose que vous lui diriez ? " Réponse "Je lui dirais tu es belle, parce que quand j'étais enfant  personne ne m'a jamais dit que j'étais belle". Ouch...  Moi, si je pouvais prendre la petite fille que j'étais dans mes bras, la première chose que je lui dirais c'est "Je suis là".

Les livres de Justine Lévy sont ma thérapie littéraire. Je chemine avec elle, sa plume me montre la lumière au bout de mon tunnel. A chaque fois, je grandis un peu grâce à elle. Ce n'est pas une écrivaine exceptionnelle, mais elle me touche parce qu'elle parle de sujets qui me touchent, qui me parlent parfois de moi, de ma vie, de mon passé.

Elle vient de sortir un nouveau roman, Justine Lévy. Ça s'appelle "La gaieté" et l'homme de ma vie depuis 15 ans me l'a offert. Peut-être un signe que la boucle est bouclée, que j'arrive au bout de ma quête de mon Moi vrai, que je suis là où je dois être et que tout est bien. Oui. Tout est bien, Tintin...
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