vendredi 17 juillet 2015

Grace & Frankie

Genre: guys and dolls 3e acte (note: **/****)


Série US - Netflix - 2015
Créée par Marta Kauffman et Howard J. Morris
Avec Jane Fonda, Lily Tomlin, Martin Sheen, Sam Waterston, Craig T. Nelson, Brooklyn Decker, June Diane Raphael, Ethan Embry and Baron Vaughn

Lorsque leurs maris respectifs depuis plus de 40 ans leur annoncent entre la poire et le dessert qu'ils demandent le divorce pour se marier ensemble (!), Grace et Frankie, deux septuagénaires que tout oppose, voient leur monde s'écrouler et n'ont d'autre choix que de cohabiter dans la maison de la plage dont les deux couples étaient conjointement propriétaires. Une nouvelle vie commence pour elles (et pour eux), pleine de premières et dernières fois.

Co-créée par Marta Kauffman (Friends), l'idée de départ est géniale et le casting aux petits oignons. Voir ces quatre superbes acteurs donner vie à ces personnages plein d'énergie, d'envie, de combativité, de certitudes mises à mal, de principes remis en question, d'habitudes à renouveler, de nouveau départ, de plongée dans l'inconnu est un vrai bonheur.  Ces quatre fantastiques là n'ont plus rien à prouver dans leur métier.

On peut penser que Jane Fonda se laisse parfois aller à surjouer mais le personnage de Grace est comme ça : arrogante, superbe, fonceuse, ancienne femme d'affaires à la tête de sa propre société de cosmétiques. L'annonce que son mari la quitte pour un autre homme la fait un premier temps vaciller, c'est sûr,  mais elle se rattrape à la anse de son Birkin, se remet debout, brushing et manucure impeccables, et part à la conquête de sa nouvelle vie. Il lui reste un "3e acte" comme le dirait Jane Fonda elle-même et elle a bien l'intention de le vivre à fond. A 77 ans, elle en paraît 15 de moins facile (seules ses mains et sa démarche parfois mal assurée trahissent son âge). She is simply stunning.

Face à elle Lily Tomlin compose une Frankie hippie-écolo vivant en harmonie avec la nature, les arbres, les esprits, l'impalpable. Elle est impayable. Dans la vraie vie, les deux actrices ont sensiblement le même âge (à deux ans près). Leur duo reformé, 35 ans après Comment se débarrasser de son patron, n'a pas pris une ride. Leur complicité est évidente, leur plaisir de jouer de nouveau ensemble aussi.

De l'autre côté du lit, leurs deux ex-maris campés par Martin Sheen et Sam Waterston. Le premier bien loin de son rôle de président des Etats-Unis dans The West Wing (encore plus loin d'Apocalypse Now...), le second bien loin de son rôle de substitut du procureur dans Law & Order (et encore plus loin de La déchirure...). Ils sont tous les deux parfaits, jouent sobrement et de façon très réaliste leur nouvelle vie conjugale. Ils sont un couple comme les autres et le fait d'être deux hommes formant ce couple ne rend la situation ni plus facile, ni plus compliquée : ils font face aux mêmes problèmes, aux mêmes doutes, ont la même complicité, la même tendresse, le même quotidien et cela les deux acteurs le rendent très bien sans caricaturer. Mention spéciale à Sam Waterston qui est tout simplement sensationnel.

Une petite série sympathique, relativement bien écrite et mise en scène, qui vaut surtout pour son carré d'acteurs principaux.
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lundi 13 juillet 2015

We need to talk about Kevin

Genre : Damien 3.0 (note: **/****)

Réal. Lynne Ramsay
Avec Tilda Swinton, John C. Reilly, Ezra Miller, Jasper Newell, Ashley Gerasimovich, etc.

Elle se réveille seule dans une maison en ruines où règne le chaos. Elle titube, prend des médicaments, s'habille tant bien que mal et sort de chez elle pour trouver sa voiture vandalisée dans la rue : des seaux de peinture rouge ont été jetés sur le véhicule, même chose sur la maison mais, chose surprenante, ça ne la surprend pas justement. Au supermarché, elle évite soigneusement une autre femme dans les rayons, qui en profite pour casser les 12 œufs qu'elle vient de mettre dans son caddie mais là encore ça ne lui fait rien, elle les prend quand même, comme ça, et les mange en omelette morceaux de coquille compris. Elle se fait gifler dans la rue sans réagir, et quand un homme lui propose de témoigner si elle veut porter plainte, elle refuse. Eva Khatchadourian (Tilda Swinton) porte sa croix.

18 ans plus tôt, elle était jeune, insouciante, légèrement provoquante, amoureuse aussi. De cet amour naquit un enfant, un garçon, qui du jour où il poussa son premier cri ne sembla plus n'avoir qu'un but dans la vie : faire de celle de sa mère un long calvaire jusqu'à l'apothéose finale.

Le montage en flashbacks donne une impression de malaise qui convient parfaitement au propos. On est déboussolés, entre présent et passé, comme en décalage horaire. Tilda Swinton est statuesque, éthérée, glaciale. On la trouve distante avec son bébé, incapable de créer le lien. Aucune expression sur son visage, elle semble ne rien ressentir sinon une immense fatigue et prendre son nouveau rôle de mère comme une obligation, sans une once d'enthousiasme, encore moins d'amour. L'enfant grandit et Ezra Miller, l'acteur qui joue Kevin adolescent, donne froid dans le dos d'un simple regard. Impeccable casting. Le drame gronde, monte crescendo : petite mesquinerie fraternelle par-ci, accident domestique par-là, la mère sent venir le "chef d'œuvre" filial, impuissante, tandis que le père ne voit rien, ne comprend rien - ou fait l'autruche, pauvre de lui.

L'apothéose arrive dans les dernières minutes du film, superbement amenée, mise en scène et montée. Le drame aurait-il pu être évité ? Qu'aurait-il fallu pour faire de Kevin un être humain : de l'amour maternel ? De l'autorité paternelle ? Etre né avec une âme tout simplement ?

Le 21e siècle a trouvé son Damien (la malédiction) : il s'appelle Kevin et il est gratiné.
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